samedi 20 janvier 2018

Intermède

Il ne fait nul doute que l'appétence pour la lecture est un atout en cette époque par trop vouée à la distraction et à la frivolité. Aussi, ce n'est jamais sans une certaine bienveillance que j'observe des jeunes gens plongés dans la lecture d'un livre papier, par exemple dans les transports en commun. Je sais ce qu'il en coûte d'efforts à ces "natifs" que rien ne prédispose plus à tourner les pages d'un ouvrage.

En même temps, je me suis toujours méfié des grands lecteurs (comme des cinéphiles d'ailleurs). J'en ai fréquentés suffisamment pour avoir remarqué que la plupart d'entre eux étaient des consommateurs passifs comme les autres, souvent soucieux de distinction (à l'instar de leurs congénères technophiles). Je crois que Valery Larbaud ne se trompait guère quand il parlait de "vice impuni"...

Je dis cela d'autant plus piteusement que je suis moi-même un grand lecteur, au sens statistique du terme (bien plus de 20 titres par an). Lecteur d'archives bien entendu, de correspondances cela va de soi, mais aussi d'essais, de romans, de pièces de théâtre voire de poésie. Je n'achète pourtant pratiquement plus rien depuis des années: je récupère! Depuis une décennie, nous assistons en effet, sans trop nous en émouvoir, à une véritable extinction de masse: des tombereaux de livres et de papiers de toutes sortes saturent les encombrants de France et de Navarre, ce qui en dit long sur l'opprobre qui affecte désormais cet objet pourtant pluriséculaire. Curieusement, le même phénomène affectait Saint-Pétersbourg au lendemain de la révolution d'Octobre, comme le raconte Agnès Graceffa dans sa belle biographie de Raïssa Bloch qu'elle a eu la gentillesse de m'adresser.

Je récupère donc des livres que je n'ai jamais lus ou alors si mal. Et je les lis les uns après les autres, sans programme préétabli. Cette "méthode" a l'avantage de m'extraire de la contemporanéité dont je me méfie comme de la peste. Et à l'heure des "recommandations" de tout acabit, quel bol d'air que de se plonger, par le pur jeu du hasard, dans des textes ou fragments de Mor Jokai, Fernan Caballero, Joseph Joubert, Benvenuto Cellini ou André Maurois! Quelle reviviscence dans mes relectures de l'abbé Prévost, de Molière ou de Jules Verne! Quel plaisir de hanter les landes des Hauts de Hurlevent aux côtés d'Emily Brontë, de se perdre dans Versailles ou le grand Trianon à la poursuite d'Alfred de Musset (La Mouche), de suivre Jacques Rogy dans ses enquêtes périlleuses ou de relire quelque stoïcien oublié...

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