mercredi 29 septembre 2010

Biologie et cinéma à Paris-Diderot

Présentation commentée en images des techniques de micromanipulation de Pierre de Fonbrune (1901-1963) et Jean Comandon (1877-1970), dans le cadre de la Fête de la Science à l'université Paris-Diderot.
Films restaurés par les Archives françaises du film du CNC.
Samedi 23 octobre 2010, 15h30, amphithéâtre Buffon, 15 rue Hélène Brion, 75013 Paris (métro Bibliothèque François-Mitterrand).

jeudi 9 septembre 2010

Quelques pistes sur l'histoire des radios libres

Intégralité de l'interview de Thierry Lefebvre (TL) réalisée par Rémi Devèze (RD), pour son téléfilm 25 ans de radios libres (France 5, 2006)

[Cette interview donne un aperçu de ce que fut le mouvement des radios libres entre 1977 à 1981. Elle ne prétend absolument pas à l'exhaustivité. Pour plus d'informations, on pourra consulter l'ouvrage de Thierry Lefebvre : La Bataille des radios libres, 1977-1981, paru chez Nouveau Monde en 2008, 422 p.]

RD - Où se situe le démarrage des radios libres ou pirates en France ?
TL - Il y a eu des radios pirates en France depuis les années 20. On en compte davantage dans les années 60, certaines étant liées à la guerre d’Algérie, ou à d’autres événements. Il existe également des radios de campus (comme Radio Campus à Lille), mais qui ne sont pas à proprement parler des radios « libres » telles qu’on va les voir se multiplier dans les années 70.
RD - De quand date l’arrivée des premières radios FM ?
TL - Les premières radios FM apparaissent sporadiquement en 1975, avec des essais tentés par le groupe de la revue Interférences, dont on entendra parler plus tard. Ce magazine a été créé par Antoine Lefébure et Jean-Luc Couron, deux thésards qui s’intéressent de près à cette question. Le premier numéro paraît en décembre 1974 et nos deux penseurs annoncent ce que deviendra le mouvement dans un texte assez prophétique. D’autre part, Lefébure, qui travaille avec Patrick Vantroeyen (le futur initiateur de Radio Ivre), décide de lancer Radio Active à l’occasion d’une semaine de l’écologie antinucléaire. Et cette Radio Active doit émettre de Jussieu, du 5e étage de la tour centrale. L’émission, annoncée dans Libération le jour même, n’aura pas lieu parce que des personnes (des RG, des policiers en civil ou des appariteurs) ont réussi à s’introduire dans le local où se trouvait le matériel. La deuxième tentative, c’est une autre radio également dénommée Radio Active, qui naît du côté de Grenoble, à l’occasion du conflit autour de Creys-Malville et de l’implantation de la centrale Superphénix. Toujours dans une perspective écologiste, donc.
RD - L’idée de ces radios itinérantes, de ces radios de lutte, c’est un concept qui a fait florès.
TL - Tout à fait. Le but étant de se synchroniser avec des événements locaux, de les annoncer, de les commenter, dans des émissions très courtes, puisque le pouvoir utilise ce qu’on appelle la « radiogoniométrie » pour en identifier leur provenance. Cette Radio Active autour de Superphénix émet d’une voiture dont le radio-cassette est équipé pour diffuser directement grâce à l’antenne, et donc pour échapper rapidement à la DST.
RD - Comment réagissent les autorités : détection, brouillage, saisies ? Quelle est la réaction de défense du monopole face à ces initiatives ?
TL - On garde une trace de brouillage de Radio Active en février 1977, donc avant le début du mouvement avec Radio Verte. Apparemment, l’ordre vient de la DST, qui supervise toutes les émissions sur le territoire français, tandis que TDF est chargée de brouiller les contrevenants. Cette situation est à l’origine, vers 1978 ou 1979, de conflits internes avec les syndicats chez TDF, et donc de la création d’une filiale, TDI (Télédiffusion Internationale), chargée du brouillage dans la région parisienne.
RD - Une structure qui évitera d’embaucher des syndiqués…
TL - Bien sûr. Avec des emplois relativement précaires, en plus.
RD - Puis on arrive à la phase « historique », avec le fameux coup de Lefébure sur le plateau d’Antenne 2…
TL - Lors des élections municipales de 1977, les Amis de la Terre (sous l’intitulé « Paris Écologie ») recueillent quelque 10 % des voix à Paris, marquant l’émergence de l’écologie politique. À cette occasion, Brice Lalonde et Antoine Lefébure, qui se connaissent depuis quelques mois, concoctent un « coup » pour impressionner les médias : ils font croire qu’une radio, Radio Verte, est en mesure d’émettre. Sur le plateau d’Antenne 2, Lalonde sort un transistor tel qu’on en avait dans les années 70, monte un peu le son et l’on entend une sorte de bruit. Mais en fait, Lefébure (qui s’est fait passer pour le garde du corps de Lalonde pour pénétrer sur le plateau !) ne transmet qu’une cassette pré-enregistrée. Il a fait bricoler un appareil minuscule qui émet à quelques dizaines de mètres, pour laisser croire qu’une émission se déroule effectivement à ce moment-là. Ce coup médiatique connaît un impact considérable puisque 5 millions de téléspectateurs assistent à cette scène en direct. Tous les journalistes veulent interroger Lalonde : « C’est extraordinaire, c’est une première ! »… et l’affaire est lancée.
RD - En fait, cette soi-disant radio n’émet que sur le plateau.
TL - Juste pour les médias, en effet. Précisons que Lefébure et Lalonde ont l’habitude de jouer avec les médias. Et le lendemain, la presse titre : « Les Radios Vertes débarquent sur la France ».
RD - Lalonde annonce : « Nous lançons DES Radios Vertes », au pluriel… d’où les titres du lendemain.
TL - Tout à fait. Au départ, Paris Écologie et des Amis de la Terre souhaitent lancer une multitude de petits émetteurs de faible puissance, un par arrondissement. Lefébure et son équipe envisagent une puissance de l’ordre de 100 watts pour couvrir Paris et une partie de la banlieue. D’où un conflit entre les Amis de la Terre et l’équipe d’Interférences, qui assure la technique.
RD - Que vient faire Jean-Edern Hallier dans cette histoire ?
TL - Antoine Lefébure écrivait des articles pour LIdiot international, journal fondé et dirigé par Jean-Edern Hallier, qui connaissait également très bien Brice Lalonde. À ce moment précis, Hallier représentait une solution de sauvetage puisque, au départ, l’émission devait se faire depuis les locaux du Nouvel Observateur.
RD - À partir de cette date, des centaines de gamins à travers tout le territoire se disent : « Pourquoi pas moi ? » Quelles sont leurs motivations ?
TL - Vaste sujet ! Ce mouvement n’a pas une structure uniforme. On trouve un certain nombre de passionnés de radio, des gens qui ont l’habitude de communiquer par ondes courtes, qui connaissent le principe des émetteurs et qui se demandent : « Pourquoi pas investir la bande FM ? »
RD - Ces fameux radio-amateurs ?
TL - Bien sûr, ceux qui écoutaient les radios pirates anglaises des années 60, Caroline, Veronica, etc. Certains franchiront le pas à un moment donné et créeront des radios… Il s’agit de vrais passionnés de radio, de personnalités généralement attachantes. Et puis on retrouve les écologistes dans différents endroits : Radio Verte en mai 1977, dans la foulée Radio Verte Fessenheim (contre la centrale de Fessenheim). Radio Verte Béziers, qui deviendra Radio Pomarèdes (la radio de Robert Ménard, l’ancien secrétaire général de Reporters sans frontières). On trouve également un certain nombre d’organisations gauchistes sur le déclin qui vont relancer leurs activités d’agitation par le biais de ce nouveau média. Cette hétérogénéité sera à l’origine du futur conflit entre l’ALO (Association pour la libération des ondes, dirigée par Antoine Lefébure) et la FNRL de Jean Ducarroir et Patrick Farbiaz. L’ALO s’intéresse plutôt au côté technique et le rapport à l’économie marchande ne la gêne pas particulièrement. D’autres se révèlent totalement réfractaires à la publicité. Et même si tout ce petit monde travaille toujours dans l’illégalité la plus totale, le clivage s’opère sur la base de ce problème.
RD - Des scissions se produisent déjà sur le thème de la publicité ?
TL - C’est le motif avancé. En réalité, des problèmes de pouvoir ont surgi au sein de toutes ces structures. Des personnalités fortes s’opposent, parfois violemment. Mais l’argument avancé dans le début de cette scission, c’est le rapport avec les forces de l’argent, mais aussi le rapport avec les partis de pouvoir – et le Parti socialiste en particulier… Bref, c’est une histoire extrêmement complexe.
RD - Il faut se rappeler que la droite est au pouvoir depuis longtemps, les Français aspirent à voir ne serait-ce que des nouvelles têtes, à défaut d’un nouveau parti. Et même à droite, des jeunes s’engagent dans le mouvement des radios libres. Ils ont au moins le mérite d’avoir existé…
TL - À Montpellier, Radio Fil Bleu est montée par des gens de droite. Elle sera à l’origine de débats devant les tribunaux afin de poser la question de la validité du monopole : a-t-il toujours lieu d’être en 1977 ou en 1978 alors qu’il date de 1945 ? Radio Fil Bleu avait été montée par un petit groupe d’avocats assez proches du Parti Républicain, donc de la majorité présidentielle et de Giscard d’Estaing. Parmi les avocats, François Chassaing joue un rôle considérable : il se revendique à droite mais gardera des relations régulières avec l’ALO. Chassaing avance l’idée que la droite et la gauche peuvent se retrouver pour obtenir un élargissement des libertés. Par « élargissement des libertés », il entend aussi liberté commerciale, bien sûr.
RD - La position des politiques, à droite comme à gauche, me semble totalement paradoxale : la droite libérale refuse de libéraliser et la gauche brisera un « service public »…
TL - On assiste effectivement à un paradoxe politique. Mais cette situation reste liée au rapport de forces au sein de la majorité. Le RPR, opposé au principe de la disparition du monopole, garde un poids considérable dans la majorité. Le PS y demeure globalement opposé, même s’il y a des frictions internes sur ce sujet. Quant aux communistes, ils accepteraient l’idée de radios municipales (uniquement pour certaines municipalités communistes, évidemment !). Globalement, tous les partis représentés à l’Assemblée nationale se positionnent contre l’ouverture du monopole.
RD - Par peur de voir apparaître des contre-pouvoirs ?
TL - Voilà. Le PS sent que l’alternance est possible en 1978 avec les législatives ou en 1981 avec la présidentielle et il s’imagine que cet outil peut le servir une fois le pouvoir conquis. Cette situation complètement figée conduira au renforcement de la répression, avec la loi Lecat de 1978, quand ce secrétaire d’État à la Communication renforce les sanctions.
RD - Il restait, en effet, une sorte de vide juridique autour des radios libres et Giscard décide de durcir la loi. Quand et comment ?
TL - À partir de Radio Verte en 1977, des dizaines de radios locales éclosent un peu partout, même si elles n’émettent pas en permanence, loin de là. Le pouvoir essaie donc de brouiller systématiquement dès qu’il est informé d’une émission, de saisir les radios, d’exercer des pressions variées, comme la dissolution des associations dont le but est d’émettre, bref, les rapports s’enveniment. D’un autre côté, Radio Fil Bleu porte l’affaire devant les tribunaux et parvient à démontrer qu’il reste un vide juridique permettant aux radios de s’engouffrer dans la brèche.
RD - Comme en Italie, finalement ?
TL - Exactement. La situation est bien plus anarchique en Italie, mais les prémices français font peur et le gouvernement prend une mesure d’urgence en renforçant la répression. Cette fameuse loi de l’été 1978 freinera le mouvement des radios libres : après cette date, il est impossible de relancer une activité aussi exubérante qu’auparavant.
RD - Et de vrais procès s’engagent…
TL - Sans conséquences gravissimes pour la plupart, mais les jugements sont complètement aléatoires : des personnes jugées pour complicité dans l’affaire Radio Aventure (qui émettait à Bondy), simplement accusées d’avoir fourni des bandes, sont condamnées à de lourdes amendes et à des peines de prison avec sursis. D’autres, plus impliqués, s’en sortent indemnes.
RD - Jean Autun, président de TDF, parle d’un avion qui se serait écrasé à cause de l’occupation des fréquences de la tour de contrôle par les radios libres. Il bluffe, non ?
TL - À la suite de Radio Verte, Jean Autun est envoyé en première ligne devant les médias pour expliquer pourquoi les radios libres sont nuisibles. Parmi ses arguments, il cite le brouillage des services publics (ambulances, police, etc.) et surtout des aéroports. Dans mes recherches, j’ai trouvé quelques émetteurs qui pouvaient éventuellement être à l’origine de petits dysfonctionnements. Mais de là à dire qu’un émetteur de 20 watts pouvait causer une catastrophe…
RD - Imaginez le bruit médiatique si cette hypothèse avait été avérée !
TL - Du bluff, bien sûr.
RD - Après la loi Lecat, les radios libres mettent la pédale douce. Puis on observe un retour en force avec la génération des Farbiaz, Di Sciullo, des politiques qui commencent à s’intéresser à ce média, des financiers qui voient une source de profits se profiler : Thierry Mendès-France, Schlumberger, etc. Une nouvelle partie se joue ?
TL - Après le déclin post-1978, le mouvement est relancé de deux côtés par des décisions politiques. Par la CGT, d’un côté, avec les radios liées aux conflits de la sidérurgie : Radio Lorraine Cœur d’Acier obtient un retentissement phénoménal puisqu’elle émet jusqu’à Nancy. La CGT décide donc de multiplier ces radios de lutte, ce qui pose de gros problèmes aux pouvoirs publics parce que la puissance de leurs émetteurs exigent des brouillages de plus en plus importants. En outre, ces radios se dispersent, circulent un peu partout…
RD - Marcel Trillat devient l’emblème de ces radios de lutte…
TL - Marcel Trillat et Jacques Dupont co-animent Radio Lorraine Cœur d’Acier, qui devient vite une référence. Il s’agit de deux professionnels, rompus aux médias traditionnels. Trillat a fait partie de la charrette de Mai 68 (quand l’ORTF a sanctionné tous les sympathisants de la rébellion). Toujours lié au PC, il travaille à la pige et va s’investir de tout son cœur dans les radios libres. Ces gens-là vont professionnaliser le ton de ces radios, jusqu’alors bricolées dans l’amateurisme… Ils veulent des résultats concrets. Professionnaliser, rationaliser, certes, mais en gardant l’interactivité, qui joue un rôle fondamental dans Radio Lorraine Cœur d’Acier.
RD - La CGT a monté Lorraine Cœur d’Acier, mais la CFDT l’avait devancée ?
TL - L’attitude de la CFDT est un peu ambiguë… La première radio de Longwy, Radio SOS Emploi, est l’œuvre de la CFDT (avec une équipe très intéressante, d’ailleurs). Elle sera rapidement submergée par la puissance de l’émetteur de la CGT, donc quand celle-ci décide de multiplier les émetteurs, la CFDT s’y oppose, considérant que la CGT abuse et profite de la situation pour mener sa campagne pour les élections prud’hommales, de faire sa promotion, par le biais des radios libres.
RD - Marcel Trillat, évincé de l’ORTF après Mai 68, a son équivalent au PS : Maurice Séveno.
TL - Maurice Seveno, militant actif du PS, est le présentateur du seul journal télévisé, à l’époque, donc une figure emblématique de la télévision. Après Mai 68, il fait évidemment partie de cette fameuse charrette. Il devient alors conseiller du PS pour l’audiovisuel et le cinéma. C’est le premier, à ma connaissance, à utiliser le terme « radio libre » en France. Dès 1975, en effet, certains membres du Parti socialiste émettent l’hypothèse de créer une radio militante sur la FM. Dans une interview, Maurice Seveno dit : « J’aimerais que cette radio s’appelle “Radio Libre”. » Ce projet n’aboutira pas mais on retrouve Seveno en 1981, sur Canal 75, s’investissant à fond dans cette lutte – les obstacles étaient nombreux, y compris au sein du PS. Cette radio tentera de fonctionner en mars 1981, deux mois avant l’élection présidentielle, mais n’émettra que le 10 mai 1981, en direct du siège du PS.
RD - La moitié du futur gouvernement Mauroy est passée sur Canal 75 ce jour-là….
TL - C’est vrai. L’autre événement important au niveau du PS, c’est Radio Riposte. Il s’agit avant tout d’un coup médiatique, monté par les lieutenants de Mitterrand. Laurent Fabius et Paul Quilès, véritables ordonnateurs de cette affaire, reçoivent l’aide de quelques chevénementistes du Ceres, l’aile gauche du Parti socialiste, en particulier de Bernard Parmantier. Une alliance, à ce moment précis, permet à Radio Riposte de voir le jour, avec deux émetteurs, qui plus est : l’un fourni par la FNRL (Fédération nationale des radios libres) et l’autre par l’ALO.
RD - Ces deux fédérations essaient de se placer ?
TL - Bien sûr. Elles misent sur la candidature socialiste et essaient également de pénétrer cette structure politique un peu difficile d’accès par le biais des arrondissements, des militants, de la base, etc. Tel est l’enjeu. Radio Riposte émettra mais sera rapidement brouillée, lors d’une intervention (totalement absurde) de la police dans l’annexe du PS. Une perquisition a lieu, Fabius est bousculé, un journaliste d’Antenne 2 est blessé, mais personne ne débusque les émetteurs (ce qui démontre un manque de persévérance certain). Et là encore, l’affaire fait les gros titres. Il faut rappeler les faits : les Français ont entendu parler des radios libres, bien sûr, mais la plupart n’y ont pas accès : l’équipement en FM reste modeste et ces radios émettent de façon sporadique, entre deux brouillages, il faut se tenir informé pour en capter une de temps à autre. Donc les radios libres doivent absolument susciter l’intérêt des journalistes pour que le public connaisse leur existence, tout simplement. C’est donc de l’agit’ prop, très clairement dans la lignée de Mai 68.
RD - Avec le recul, on se dit que le PS s’est laissé piéger avec Radio Riposte. Lefébure a fourni un émetteur au nom de l’ALO, Farbiaz, un deuxième au nom de la FNRL… Ça ressemble à un cadeau empoisonné, non ?
TL - Oui. Quand on relit le programme de François Mitterrand pour la présidentielle, l’une des propositions pose la question de la radio, mais il ne s’agit que d’aménager le monopole pour le service public. Mais les Radio Riposte (une bonne dizaine de « petites sœurs » émettront jusqu’en 1981, en se heurtant à des brouillages, des tentatives de saisie…) vont susciter un débat au sein du PS, entre la jeune génération et l’ancienne. Globalement (rien n’est jamais aussi simple), une nouvelle génération s’oppose aux anciens : Mauroy, ou même Fillioud, qui s’opposent à l’émission de Radio Riposte …
RD - Georges Fillioud s’oppose à Radio Riposte ?
TL - Oui. Tout comme Attali, qui déconseille fortement à François Mitterrand d’intervenir sur ses ondes. Bref, des débats s’engagent… Fillioud changera d’avis dès son arrivée au ministère (et quand son fils Patrick aura lancé sa propre radio !). C’est un homme ouvert, à l’écoute, qui finira par défendre les radios libres. Mais dans un premier temps, il s’inscrit dans l’orthodoxie du PS : il suffit d’adapter le monopole pour qu’il devienne un véritable service public et non un organe de propagande.
RD - L’autre façon de toucher les Français, c’est la pub.
TL - Effectivement. Canal 75 achète une page de pub dans Le Monde, payée par Seveno et ses camarades grâce au financement d’un publicitaire, Thierry Mendès-France. Cette annonce pose la question de la libération des ondes : pourquoi ne pas émettre ? Canal 75 vivote quelque temps, puis fait un flop, mais la page de publicité a suscité des débats dans la presse.
RD - Et n’oublions pas que l’expérience italienne a tenté bien du monde de ce côté-ci des Alpes. Dans la péninsule, les radios privées étaient légales, donc on a vu émerger des radios commerciales aux capitaux plus ou moins douteux, Radio K, Azur 101, Mont Blanc et quelques autres…
TL - Effectivement, un certain nombre de radios se sont implantées en Italie, à proximité de la frontière française, profitant de ce qu’on appelait « l’anarchie à l’italienne » pour émettre vers la France. Mais il s’agit d’un mouvement très différent des radios libres, plus proche des périphériques (Europe 1 a commencé par s’installer dans la Sarre en 1955). Effectivement, les capitaux restent assez opaques. Personnellement, j’ai eu du mal à démêler tout ça ! Radio K, dans un premier temps, est financée par le PS (ou par des structures proches) qui a l’intention d’en faire une radio périphérique de gauche. Et très rapidement, à l’approche des élections, les protagonistes (Jacques Dupont et quelques autres) seront lâchés par le PS, qui ne les défendra jamais et qui ira même jusqu’à les brimer plus encore… Quant aux autres, après 1981, certaines de ces stations aux capitaux américains, liées à des éditeurs de disques, par exemple, tenteront de faire du business pur et dur avec la radio.
RD - Que sont devenus ces personnages emblématiques ?
TL - Antoine Lefébure est entré chez Havas, il a joué un rôle dans la création de Canal +. Il sera plus ou moins à l’origine de la création de Radio Nova et nous le retrouvons également dans une tentative de relance, en 1983, de Radio Verte. Projet qui va péricliter puisqu’on l’avait mariée avec NRJ ! Patrick Farbiaz jouera un rôle important dans le développement de la FM après 1981 et optera pour une carrière politique – il est maintenant chez les Verts. Jean Ducarroir se dirigera vers l’informatique, sa formation de base, et connaîtra une triste fin… Les destinées sont contrastées, certains se sont parfaitement insérés dans cette société en évolution, d’autres ont eu davantage de problèmes…